L'OSINT dans la sécurité des family office
Les Family Offices, au cœur de la gestion de fortunes complexes, sont exposés à des risques humains et informationnels, comme en témoigne une fraude majeure en Asie du Sud-Est. L’OSINT, bien encadré et éthique, est un levier essentiel pour renforcer la due diligence et la surveillance des collaborateurs, prestataires et investissements. En adaptant la maturité OSINT à leur taille et en instaurant une gouvernance claire, les Family Offices peuvent mieux gérer les risques, améliorer leurs décisions, et protéger leurs intérêts dans un environnement toujours plus opaque.
7/16/20258 min read

La concentration croissante de fortunes individuelles et familiales exige des structures d’investissement et de gestion financière toujours plus innovantes et stratégiques. Dans ce contexte, les Family Offices occupent une place centrale : ils gèrent un portefeuille diversifié allant des investissements aux questions fiscales, immobilières, mais aussi la gestion opérationnelle, juridique, la réputation, la sécurité et la philanthropie.
À mesure que ces fortunes familiales se structurent en écosystèmes complexes, le risque ne se limite plus à la volatilité des marchés : il vient aussi de l’opacité des parties prenantes, de la réputation numérique, ou d’un prestataire mal sélectionné. Or, beaucoup de Family Offices restent sous-équipés face à ces risques d’origine humaine ou informationnelle. L’OSINT permet de combler cette asymétrie d’information — encore faut-il le faire correctement.
Cependant, leur position les rend aussi vulnérables aux fraudes internes, comme le montre un incident en Asie du Sud-Est où des employés auraient détourné 56 millions de dollars. Cela révèle souvent une trop grande confiance accordée, sans cadre de contrôle suffisamment robuste pour dissuader et détecter ce type de menace. Il est donc essentiel de mettre en place des mécanismes systématiques de vérification et de surveillance.
L’un des leviers clés est la due diligence : non seulement pour vérifier les employés, prestataires et partenaires, mais aussi pour évaluer les investissements. L’OSINT, s’il est correctement utilisé, permet d’obtenir des données fines et actionnables à partir d’informations publiques — à condition de respecter des principes éthiques, juridiques et méthodologiques clairs.
Cas pratiques d’utilisation de l’OSINT dans les Family Offices
L’OSINT permet d’accroître la gestion des risques opérationnels et de renforcer les décisions en matière d’investissement, à moindre coût. Voici quelques applications possibles.
1. Enrichir les vérifications pré-embauche
Les collaborateurs occupent souvent des postes sensibles : gestion des investissements, accès aux données privées, sécurité. Il est donc crucial d’aller au-delà de la simple confiance et de constituer un processus de contrôle rigoureux.
L’OSINT permet ici d’approfondir l’analyse du profil d’un candidat, mais doit impérativement respecter le droit à la vie privée. Toute collecte d’informations doit se faire dans le respect du RGPD, en évitant les pratiques intrusives et en recoupant les sources pour garantir l’exactitude.
Parmi les actions possibles :
Validation du CV par des plateformes professionnelles.
Identification de conflits d’intérêts ou d’activités non déclarées.
2. Contrôle des prestataires externes
Le recours à des consultants ou gestionnaires est fréquent. Mais sans vérification, cela peut exposer à des risques juridiques, financiers ou réputationnels.
En intégrant l’OSINT dans ce processus, chaque donnée collectée doit être interprétée avec prudence, et validée via des sources multiples afin d’en garantir la fiabilité. Il est également recommandé de documenter la méthode suivie, faute de quoi les résultats pourraient être contestables en cas de litige.
Actions typiques :
Recherche de certifications et licences officielles.
Vérification d’éventuelles sanctions ou condamnations.
Analyse de la réputation en ligne et des retours clients.
Évaluation de la cohérence entre discours commercial et réalité des pratiques.
Exemple : un prestataire financier a été écarté après identification d’amendes réglementaires non divulguées, grâce à l’analyse OSINT croisée avec des registres publics.
3. Analyse préalable aux investissements
L’OSINT est ici un outil intéressant pour détecter les signaux faibles qui échappent aux audits classiques. Il permet d’examiner les dirigeants, les structures juridiques, les antécédents réglementaires, et la perception du marché.
Cependant, ces recherches doivent éviter toute dérive intrusive, rester dans le cadre légal et être fondées sur des sources vérifiables. L’absence de standard international impose à chaque Family Office de formaliser sa propre méthodologie d’analyse OSINT, pour assurer transparence et traçabilité des éléments collectés.
Exemples d’actions :
Analyse des structures de gouvernance via les bases d'entreprises.
Surveillance des controverses dans la presse locale.
Recherche de litiges non encore clôturés ou récurrents.
Exemple : une entreprise immobilière s’est révélée impliquée dans plusieurs contentieux malgré une présentation initiale prometteuse — découverte grâce à un recoupement OSINT et sources locales.
4. Surveillance post-investissement
Une fois les fonds engagés, il est essentiel de maintenir un niveau de vigilance élevé. L’OSINT peut fournir une veille continue sur la réputation, les incidents, ou les changements structurels.
Cela doit s’inscrire dans une démarche structurée, légale et proportionnée, afin d’éviter toute collecte abusive. Par ailleurs, les données issues de forums, commentaires ou réseaux doivent toujours être contextualisées, car elles ne sont pas toujours fiables en l’état.
5. Contrôle des activités philanthropiques
Les dons peuvent parfois masquer des activités douteuses. L’OSINT aide à vérifier la légitimité des organismes caritatifs sans exposer à des pratiques illégales.
Il convient ici aussi de respecter la loi : les informations doivent provenir de registres publics ou de sources accessibles librement, et être croisées pour éviter les erreurs d’interprétation.
Actions clés :
Vérification de l’existence juridique et des rapports financiers.
Recherche de mentions médiatiques négatives ou incohérentes.
Contrôle de l’historique des dirigeants ou fondateurs.
Exemple : une ONG prétendument humanitaire a été écartée après identification d’un historique de détournement de fonds via des recherches OSINT.
Pour autant, mettre en œuvre l’OSINT dans un Family Office ne se limite pas à utiliser quelques outils ou à effectuer des recherches ponctuelles. Pour qu’il devienne un véritable levier stratégique, il est essentiel d’évaluer le niveau de maturité du dispositif en place.
Cette auto-évaluation permet d’identifier les manques, de prioriser les efforts, et de progresser vers une gouvernance plus robuste et conforme. Le modèle suivant propose une grille simple pour situer chaque organisation selon son degré de formalisation, ses pratiques, et sa capacité à exploiter l’information publique de manière responsable.
Indice de maturité OSINT
Tous les Family Offices n’ont pas les mêmes ressources ni la même culture du risque. Pour évaluer leur niveau de préparation, il peut être utile de se positionner sur une échelle simple de maturité OSINT, structurée en trois niveaux :
Niveau 1 – Réactif (aucun usage formalisé)
Aucune pratique OSINT en place. Les risques sont traités au cas par cas, souvent en réaction à une crise ou une alerte externe. Les recherches sont manuelles, non documentées, et souvent limitées à des moteurs de recherche classiques.Niveau 2 – Opportuniste (usage d’outils accessibles)
Le Family Office utilise ponctuellement des outils gratuits ou commerciaux légers (moteurs spécialisés, agrégateurs d’actualités, réseaux sociaux) pour effectuer des vérifications, mais sans processus formel, ni documentation systématique.Niveau 3 – Structuré (OSINT intégré aux opérations)
Des workflows OSINT sont définis, documentés et intégrés aux processus internes (recrutement, investissement, conformité). Des outils automatisés assurent la collecte, le scoring de risque, et une revue humaine permet de valider les analyses. Des lignes directrices juridiques et éthiques encadrent l’ensemble des opérations.
Cet indice peut servir de point de départ pour piloter la montée en compétence progressive, en ciblant des actions adaptées à chaque palier.
Une fois son niveau de maturité identifié, chaque Family Office peut adapter sa démarche OSINT en fonction de ses ressources humaines, techniques et budgétaires.
Il ne s’agit pas d’appliquer un modèle unique, mais de construire un dispositif proportionné, opérationnel et évolutif. Le déploiement de l’OSINT doit ainsi tenir compte de la taille de la structure, de ses priorités métiers et de son exposition au risque.
Le modèle qui suit propose des pistes concrètes d’organisation, du Family Office le plus modeste à la structure multi-sites internationalisée.
Déploiement OSINT : un modèle réaliste par taille de Family Office
La mise en œuvre d’une capacité OSINT ne nécessite pas forcément une équipe dédiée ni des outils complexes dès le départ. Voici un modèle de déploiement progressif, adapté à la diversité des Family Offices — des structures modestes aux conglomérats familiaux.
Petits Family Offices (1 à 5 personnes)
Objectif : Intégrer l’OSINT à la gestion du risque au fil de l’eau.
Actions concrètes :
Désigner un référent (souvent le Risk Manager ou une personne en charge des investissements).
Utiliser des outils gratuits : Google Alerts, LinkedIn, archives presse, WhoIs, etc.
Documenter les recherches dans un fichier partagé (Excel, Notion, OneNote).
Mettre en place une courte checklist avant tout engagement (employé, fournisseur, investissement).
Respecter les principes RGPD dès la collecte (ne pas stocker inutilement les données sensibles).
Family Offices intermédiaires (6 à 20 personnes)
Objectif : Structurer la fonction OSINT en support transversal.
Actions concrètes :
Créer un mini-processus OSINT intégré aux procédures RH, investissements et compliance.
Utiliser un ou deux outils commerciaux simples (ex : Pipl, Sigma360, social media aggregators).
Mettre en place un journal d’activité (avec date, source, nature de la donnée, usage prévu).
Prévoir une formation éthique + RGPD pour les personnes impliquées.
Intégrer des indicateurs de risque ou des scores d’alerte à partager lors des comités d’investissement.
Family Offices complexes / multi-sites
Objectif : Intégrer l’OSINT comme une capacité stratégique continue.
Actions concrètes :
Mettre en place un ou plusieurs analystes spécialisés ou externaliser à un cabinet spécialisé en renseignement.
Déployer une plateforme OSINT avec automatisation des flux, intégration de scoring, visualisation, alerting.
Créer une politique OSINT formelle (outils autorisés, règles de conservation, éthique, relecture juridique).
Coupler l’OSINT à des fonctions cyber, ESG et gouvernance d’entreprise.
Réaliser une revue annuelle de l’efficacité du dispositif.
Ce modèle permet à chaque Family Office de progresser à son rythme tout en respectant les contraintes de confidentialité, de conformité, et de performance. La clé n’est pas de tout faire tout de suite, mais de commencer avec rigueur, puis de professionnaliser progressivement la démarche.
Mettre en place des outils et des pratiques OSINT adaptées est une première étape. Encore faut-il savoir qui en porte la responsabilité, comment les recherches sont encadrées, et à quelles fonctions les résultats doivent être reliés.
Trop souvent, l’OSINT est mis en œuvre sans gouvernance claire, ce qui expose à des dérives, à un manque de coordination, ou à une exploitation inefficace des données collectées.
Pour en faire un levier durable et fiable, il est indispensable de structurer la gouvernance interne ou externalisée de la fonction OSINT.
Gouvernance OSINT : qui pilote quoi dans le Family Office ?
La réussite d’une démarche OSINT repose autant sur les outils que sur la clarté des responsabilités internes. Or, de nombreux Family Offices négligent cet aspect, ce qui peut entraîner une collecte mal encadrée, un usage non conforme ou une perte de traçabilité.
Il existe deux grandes approches de gouvernance OSINT, qui ne sont pas exclusives l’une de l’autre :
Approche internalisée (centrée sur la conformité)
L’OSINT est géré en interne, souvent intégré à la fonction conformité, juridique ou gestion des risques.
Le responsable du dispositif peut être le Risk Officer, le Chief Compliance Officer ou un référent désigné.
Cette approche permet un contrôle direct sur la qualité, l’éthique et la confidentialité, à condition d’avoir les compétences nécessaires.
Approche externalisée (pilotée par le Family Office)
Une partie ou la totalité des missions OSINT est confiée à un cabinet spécialisé en due diligence, renseignement d’affaires ou cybersécurité.
Le Family Office conserve la maîtrise du périmètre et valide les demandes d’analyse, les livrables, et la documentation.
Ce modèle est particulièrement utile pour les structures sans ressource interne dédiée ou souhaitant disposer de compétences spécifiques sur des cibles internationales ou sensibles.
Quel que soit le choix, il est recommandé de :
Désigner un pilote interne chargé de coordonner l’OSINT (même en cas d’externalisation).
Définir une politique d’usage précisant qui peut initier des recherches, comment les résultats sont validés et archivés.
Assurer un lien constant avec les fonctions clés : conformité, investissements, RH, direction générale.
Conclusion
L’OSINT offre aux Family Offices une capacité à identifier les risques, confirmer les opportunités et renforcer leurs pratiques de gouvernance — à condition que les pratiques soient encadrées, légales, et transparentes.
En mettant en place des outils simples, des processus formalisés et une politique de conformité cohérente, ils peuvent exploiter toute la richesse de l’information publique pour sécuriser leurs décisions, tout en évitant les pièges juridiques ou éthiques d’une utilisation mal encadrée.
Ainsi, l’OSINT n’est pas un outil de surveillance, mais un outil de gouvernance. Bien utilisé, l’OSINT ne sert pas à surveiller, mais à mieux décider. Il renforce la lucidité des Family Offices face à des partenaires, des marchés et des écosystèmes de plus en plus opaques.